L'interview d'Adèle
ADÈLE CHARVET
nous inspire
Peux-nous raconter les étapes qui t’ont amenée jusque là ?
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J’ai commencé la chorale à 6 ans, puis j’ai intégré le conservatoire. Et puis, plus tard, j’ai eu trois épisodes importants qui ont transformé ma carrière.
Mon premier tournant professionnel a été un concours aux Pays Bas. A notre grande surprise, mon pianiste et moi avons gagné la majorité des prix, et nous avons signé pour vingt récitals dans la foulée. Je n’avais que 23 ans!
Puis j’ai été engagée pour chanter Mercedes dans Carmen au Royal Opera House de Londres. C’était une occasion inouïe car il est très rare d’obtenir de tels rôles en étant si jeune, et je n’avais jamais fait d’opéra.
Et là, j’ai été obligée de faire un choix. Pour accepter ce rôle, je devais démissionner de mon master, car les deux étaient incompatibles. C’est un véritable tournant. J’ai la sensation que j’ai été plongée dans le milieu du travail sans être préparée. Et c’est complètement sans regret!
En parallèle, j’ai gagné le prix du musicien le plus prometteur à l’occasion de l’Académie du Festival de Verbier. Soudain, les gens m’ont prise au sérieux. Je n’avais pas besoin de reconnaissance, mais c’est un effet boule de neige qui m’a vraiment lancée.
J’ai eu de la chance, mais je pense aussi qu’on créé sa chance. Beaucoup de tournants dans ma vie sont les fruits du hasard. Je ne me ferme jamais rien. Je me jette dans les projets… En fait, je suis vorace d’expériences et de vie.
Tu oses prendre des risques! Y a-t-il une audace féminine selon toi ?
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Je travaille dans un milieu où la femme chanteuse est sous les feux de la rampe, très valorisée. Je n’ai pas l’impression de me battre contre un quelconque sexisme, même si je suis bien consciente qu’il existe ! J’ai d’ailleurs rencontré à de rares occasions des personnalités masculines un peu tyranniques…
Cependant, j’aime me mettre en danger. J’aime tester mes limites. Est-ce typiquement féminin, ou est-ce mon caractère ? Bonne question…
Ce que je suis obligée de faire encore aujourd’hui, c’est de m’affranchir de mon éducation de jeune fille polie. Beaucoup de femmes sont conditionnées à pas faire de vagues et à servir. J’ai toujours du mal à me sortir des carcans de mon éducation. Quand je pense que je travaillais à l’école surtout pour être aimée des professeurs !
Mon audace a explosé quand j’ai compris que je faisais ce métier pour moi. Quand j’ai commencé à avoir une petite notoriété, j’ai été critiquée, et j’ai été obligée d’étudier pourquoi ça me heurtait tant.
En réalité, j’étais en quête de reconnaissance. J’ai dû chercher profondément pourquoi je faisais ce métier. Aujourd’hui je sais que je travaille pour la musique et pour moi.
C’est une vraie démarche pour moi de m’affirmer quand ça ne va pas. Si un jour j’ai une fille, je voudrais qu’elle n’ait peur de rien, qu’elle ne se sente pas bridée, qu’elle sache qu’elle peut être conquérante et tout tenter.
Peux-tu nous raconter un projet dont tu es fière, et comment tu y es arrivée ?
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Il n’y en a pas qu’un. Je suis très fière de beaucoup de victoires que je cumule et qui me rendent forte. Déjà, j’ai fait mon premier disque en automne dernier… J’ai choisi un répertoire anglo-saxon du XIX ème que peu de personne connaissent en France, et c’était assez audacieux!
Une autre fierté, c’est d’avoir survécu à une expérience de travail avec un chef d’orchestre toxique. Il a voulu me dresser. Je retire une très grande force d’avoir tenu, de ne pas être partie et d’avoir bien fait mon travail. D’où l’importance pour moi de chérir plus que tout mon équilibre et ma santé.
De mes victoires, je retire une leçon : plus tu es audacieuse, plus ça marche. Il faut arrêter de s’excuser. On n’a rien en s’excusant.
Photos par Capucine de Chocqueuse
* NDLR : Pierre Charvet est compositeur et travaille à Radio France.
** NDLR : Maryse Éwanjé-Épée, recordwoman française de saut en hauteur, et Monique Éwanjé-Épée, championne d’Europe du 100m haies, et son cousin rugbyman, Denis Charvet a été notamment finaliste de la coupe du monde 1987.